De mémoires Égyptiennes, partie 1
"La vie est une co-création perpétuelle avec le divin, au service de la vie. La vie est une œuvre en mouvement permanent, que nous co-créons, au service de l’évolution afin que Dieu se crée lui-même. »
"Je savais que j’allais bientôt partir. On m’avait installée au fond du temple, dans le sanatorium. J’étais fatiguée mais sereine. Il me restait quelques semaines, un mois tout au plus, pour finir ma préparation. Les prêtres d’Inpou, Anubis, avaient pris soin de m’expliquer la manière dont ils procéderaient. L’un d’eux, que je connaissais bien, m’avait rappelé comment faire : « Au moment du passage, reste pleinement consciente pour éviter d’être désorientée et de perdre du temps. Concentre-toi sur le sommet de ton crâne. Rappelle-toi que c’est par là que ton Ba s’échappera. Je resterai à tes côtés au cas où tu t’égarerais, pour t’aider et te réorienter. Puis Inpou prendra le relai. »
Je connaissais bien Inpou ; j’avais passé du temps avec ses prêtres et prêtresses, et il était souvent là dans mes rêves. Sa présence me rassurait, même si je n’avais pas peur. Comme mes frères et sœurs, prêtres et prêtresses, j’étais préparée depuis l’enfance à cette initiation.
Il me restait un peu de préparation et une initiation avant mon départ. Une prêtresse de Sekhmet était passée me voir pour m’apporter mon élixir quotidien qui soulageait mon corps Djet* et apaisait le Ka**. C’était un macérat à base de fleur de lotus bleu et d’un peu d’épines d’acacia mélangé à du jus de raisins. Lorsque je le prenais, je sentais durant les premières minutes une montée de Sa, le fluide vital, qui me permettait de faire mes exercices préparatoires. Le lendemain, le grand prêtre me rendrait visite, comme il le faisait à chaque fois pour celles et ceux qui avaient la chance de savoir quand ils passeraient à leur Ka***. Le dosage était un art car l’épine d’acacia contient une substance qui permet d’entrer rapidement en connexion avec le plan des dieux. Ce n’était pas le but aujourd’hui. Je devais garder mes esprits. Nous utilisions lors de certains rituels des plantes sacrées comme le lotus bleu et l’acacia. Certains champignons avaient ce pouvoir de vous faire transcender la matière.
Certains prêtres, notamment ceux de Nefertoum, connaissaient les bons dosages et travaillaient avec l’esprit des plantes qui les enseignaient. En général, ils étaient également formés à l’art des parfums et des encens, qui avaient une importance fondamentale dans les rites liturgiques. L’odorat n’était pas un sens sous-estimé, car nous savions qu’il régulait une multitude de fonctions cérébrales et permettait d’accéder à certains états de conscience. Nous, qui cherchions à nous élever en conscience sur le plan des dieux… C’était également la manière la plus simple pour les netjerou**** de communiquer avec nous. Leur parfum était enivrant. Les prêtres et prêtresses tentaient, par la fabrication d’encens, de restituer cette grâce pour l’offrir aux dieux."
" Les chats, Miou en égyptien, étaient rois dans l’enceinte du temple. On les laissait entrer dans le sanatorium à leur guise, car nous savions qu’ils avaient plusieurs Ka, 9 au total (d'où les 9 vies du chat) et, de ce fait, un pouvoir énergétique puissant. Mon préféré se faisait appeler Nebty. Par sa présence, je savais que les déesses que je servais veillaient sur moi. Nebty avait ses habitudes. Il passait le plus clair de son temps à se prélasser au bord du bassin et au pied des colonnes de la salle hypostyle où j’arrivais encore à me déplacer. Mon corps était un peu douloureux, mais mon esprit était encore vif.
Les chats avaient tous leur karma. Ils avaient une faculté bien particulière qui leur permettait de nettoyer les énergies des lieux qu’ils captaient par le bout de leur queue, afin de ramener l’harmonie au sein d’un espace. Ils étaient l’animal hypostase de la déesse chatte Bastet, protectrice du foyer. Le chat avait d’ailleurs cette même fonction et était considéré comme un membre à part entière d’un lieu de vie, d’une famille. J’aimais tant les chats. Leur présence était pour moi une inspiration divine, un souffle de grâce qui remplissait mon cœur à chaque caresse. Je les aimerais pour l’éternité. Nebty allait m’accompagner en silence durant mon départ."
"Le temps qu’il me restait était précieux. Je n’avais pas atteint la conscience des plus grands initiés, mais j’avais reçu la préparation nécessaire à mon départ. Il me restait encore du travail pour être prête. Un régime spécial m’avait été donné pour purifier mes organes, réceptacles de mes différents corps. La purification des corps avait pour nous une grande importance. Chaque matin, je buvais une décoction de fleurs de jasmin, de rose et de feuilles de sycomore, préparée par les prêtresses de Nehptys, qui m’aidait à garder mon cœur Ib***** Ouab, c’est-à-dire Pur. Puis je passais une partie de la journée en méditation. J’utilisais une technique respiratoire bien spécifique, Senef Ka, qui permettait de stimuler et maintenir le feu intérieur, d'oxygèner les céllules, de favoriser un taux vibratoire haut, et de faire fusionner le Ka avec le Ba.
Ce jour-là, le grand prêtre me rendit visite… Il m’expliqua que durant la phase de mon embaumement, ils procéderaient au rituel de rattachement à Kemet. Ce rituel nous liait dans le temps et l’espace à notre terre tant aimée, Ta Mery, l’Égypte. Je savais ce que les dieux attendaient de moi, et ils l’attendaient de beaucoup d’autres également à travers le pays. Une fois ce rituel effectué, nous étions liés à jamais à Kemet et étions assurés d'y retourner un jour.
Tous les prêtres et prêtresses connaissaient la prophétie du dieu Djehouty Thot, que l’on appellerait le Trismégiste dans quelques décennies. Nous savions que dans quelques siècles, les dieux auraient disparu des mémoires et de la surface de la terre. Les temples ne seraient plus que des ruines ensevelies sous le sable. Notre héritage si précieux devait traverser les âges pour aider les « petits frères ». C’est ainsi que nous appelions les générations futures, car ils auraient tout à réapprendre. L’oracle nous l’avait confirmé. Les principes et connaissances des lois de l’univers seraient perdus, et cette perte de connaissance allait générer le pire de ce que l’humain profane peut imaginer et faire. Les grands prêtres d’Ipet Sout, Karnak, avaient établi le retour des Netjerou selon les cycles célestes. Ils pouvaient calculer les changements de cycles grâce à la position des étoiles et des planètes, ainsi que certaines lois cosmiques dont ils avaient une connaissance parfaite. C’est le dieu Djehouty Thot lui-même qui leur avait enseigné. Nous savions que tout n’était que cycles et que la terre de Maât****** deviendrait bientôt terre d’Isfet*******. Le chaos régnerait alors, avant que l’harmonie ne revienne.
Mais notre aide était indispensable. La connaissance devait traverser les âges pour arriver à l’aube d’une ère bien particulière...
Nous avions été choisis selon plusieurs critères. Tout d'abord, il fallait avoir reçu l'initiation de l'ouverture du Ib. Le cœur était la pierre angulaire de toute notre tradition. Non pas Khaty, le cœur physique, mais Ib, le cœur d'amour qui nous relie à la grande déesse, père et mère, la source, les univers, le tout. Cette initiation nous protégeait des paroles d'Isfet.
Il était de préférence requis d'être prêtresse d'Hathor ou de Nephtys, initiée aux enseignements de Djehouty Thot, et reliée au grand Amon. Nous savions comment cacher notre aura et devenir invisibles aux yeux du monde pour traverser les vies qui nous attendaient et transmettre les enseignements sans encombres. Nos vies en dépendraient. Un jour, ces prêtresses seraient chassées et tuées, considérées comme trop dangereuse par les êtres de l'ombre.
Le grand prêtre d’Amon vint me voir pour m’annoncer que le jour de ma dernière initiation en terre de Kemet approchait. Cet entretien avait une importance capitale. Il m’expliqua que mes mémoires seraient fixées dans mon cœur Ib durant le rituel de momification par des actes de haute magie dont seuls les prêtres du loup avaient connaissance. Les paroles et les gestes ne pouvaient être récités par personne d’autre, sous peine de graves séquelles dans le corps Khat, la momie, ou pire encore, une dissolution des corps spirituels, nos sphères de conscience. À Kemet, la magie était une science.
Mon ascèse était capitale. Purifier le Djet et tous les canaux énergétiques qui reliaient les organes entre eux, donc les différents corps et qui me reliaient aux plans subtils, était absolument nécessaire.
Je n'accéderais pas encore au plan céleste, ni au Noun, l’océan primordial où chacun d’entre nous aspirait à retourner ; je le savais et l'avais accepté. La Douât serait ma demeure en attendant de revenir, quand le moment serait venu. J'y serais bien accueillie. Je connaissais le chemin menant aux champs de roseaux. Je connaissais les paroles pour les gardiens des 12 portes. Je l'avais visitée de nombreuses fois lors de mes sorties astrales. J'aurais préféré le plan céleste, c'est vrai, mais ce qui me consolait, c'est que je ne reviendrais pas seule. Mes sœurs s'incarneraient à proximité de moi.
"À des kilomètres de là, dans un autre temple, des scribes prêtres de Thot avaient été missionnés pour participer au grand retour. Spécialistes de l’histoire de Kemet, qu’ils consignaient sur les papyrus grâce aux médhou Ntjer, les écritures sacrées ou hiéroglyphes, ils participeraient au retour de la connaissance des lois de l’univers et à l’ouverture des tombeaux dans plusieurs siècles, au moment choisi par Amon et Djehouty Thot. Nous prenions soin de protéger les tombes pour éviter les profanations prématurées. Ces actes mettaient en péril le plan prévu par les dieux. J’espérais que mon tombeau resterait intact jusqu’à l’ouverture convenue. Je n'étais pas sûre de retrouver celui qui fut mon maître, Saimen, fils d’Amon, car les pilleurs avaient visité sa tombe et de ce fait perturbé son BA et les prévisions d'ouverture.
J’avais tout de même demandé à être représentée debout près de lui et que l'on grave mon REN, mon nom, sur les bas-reliefs de la salle principale, en espérant que cela nous aide à nous retrouver. Sans lui, j’aurais davantage de difficultés à accéder à l’état d’Hor. J’avais prié les dieux pour qu'ils nous réunissent. J’espérais qu’ils avaient entendu mes prières.
Tous les tombeaux n’étaient pas destinés à être des demeures d’éternité. Leur ouverture provoquerait d’importants bouleversements pour ceux qui les ouvriraient, et surtout pour les personnes reliées aux momies mais incarnées sur terre au moment de l’ouverture, c'est-à-dire la réincarnation de l’être momifié. La décharge énergétique serait si importante qu’elle pourrait provoquer un désordre psychique, allant jusqu’à la folie. Les mémoires remonteraient en surface à travers le Ka, le Khaibit******** et le Ib, parfois de manière très brutale, inondant l’esprit d’images d’un autre temps, dans un autre corps. C’est une expérience bouleversante pour ceux qui n’y sont pas préparés. Les nœuds karmiques refont alors surface, parfois de manière douloureuse, en provoquant des événements semblables à ceux du passé. La remontée des mémoires, lorsqu’elle est faite en conscience, est intéressante.
Pour les prêtres et prêtresses rattachés à Kemet, cette remontée avait été programmée et nous devions rapidement nous souvenir afin de mener à bien notre mission. Les mémoires pouvaient être fulgurantes ou bien fugaces. Rassembler les morceaux pouvait demander du temps. Mais le cœur sait toujours ce qu’il a à faire. Avec Khaïbit, il est notre boussole intérieure, pour peu que nous sachions l’écouter et suivre la direction qu’il nous propose. Les résistances sont parfois nombreuses et verrouillent l’accès à un devenir plus en harmonie avec notre être supérieur et l’univers. Les lignes temporelles potentielles sont nombreuses, mais celle qui permettra une élévation plus haute encore est celle que connaît notre Ka. Ce que l’on appellerait synchronicité était un phénomène que nous connaissions bien. Le Ka et le Ba, de concert, les provoquaient et créaient une analogie entre la matière et le subtil, ouvrant vers une nouvelle voie, un nouveau champ des possibles.
Ici, à Kemet, nous savions que nous n’étions ni notre corps, ni notre personnalité. Mais peut-être que d’ici quelques vies, nous l'aurions oublié... "
« L'amour était au centre de notre pensée. En terre de Kemet, il y avait toujours quelqu'un pour vous aimer et vous écouter, dans les bons moments et les plus difficiles. Les prêtresses d'Hathor excellaient dans cet art. Nous apprenions dès nos premiers pas dans le temple à nous relier au cœur Ib, celui qui fait vibrer l'être et nous inonde de joie quand la grâce nous touche. Nous apprenions à vivre ensemble et à voir chez l'autre l'aspect divin, au-delà des voiles des apparences qui ne sont qu'illusion."
« Il n'y a de spiritualité que dans un cœur ouvert », me disait mon maître. Il était réputé de la Haute Égypte, Ta Shémaou, à la Basse Égypte, Ta Méhou. Il a quitté son corps il y a fort longtemps, ayant lui aussi choisi de revenir. L’atmosphère qui régnait dans nos temples était délicieuse. Tout reflétait le divin. Ici, pas de punitions, ni de paroles Isfet. Chacun et chacune respectait les lois de Maât, créant l’harmonie par l’équilibre des forces opposées. Nous cherchions tous et toutes à avoir un cœur aussi léger que la plume. La joie était partout. Nous naviguions avec la barque du cœur entre ombre et lumière, en équilibre avec nos rames qui guidaient le geste et la parole.
Notre vie n'était en rien semblable à celle que j'aurais dans quelques siècles. Je m'en doutais, mais ne pouvais mesurer à quel point le mode de pensée bouleverserait tous mes repères, et ce, dès ma naissance. En Égypte, notre pensée se construisait à partir des analogies que nous pouvions établir entre notre pensée, l'intérieur, et le monde, l'extérieur. Comprendre les textes sacrés n'était pas accessible à tout le monde. Il est important de remettre ces textes dans leur contexte historique et sociologique. Le niveau de conscience de certains textes fait qu'on ne peut les aborder qu'avec un niveau quasi similaire si l'on veut en tirer la quintessence. Ces textes n'ont pas été écrits pour parler au mental, mais à notre conscience supérieure, notre supraconscience.
Notre pensée n'était pas irrationnelle, mais fondée sur une profonde compréhension et connaissance de l'univers et de ses lois, nous permettant d'atteindre un certain équilibre entre Maât et Isfet. Maât est l'équilibre cosmique qui sous-tend toute la manifestation et permet son bon fonctionnement par l’harmonie et l'équilibre des principes opposés, tels que l'ombre et la lumière, le féminin et le masculin, l'ordre et le chaos, etc. Si Maât est l'ordre, Isfet, son opposé complémentaire, est le chaos. Trop de Maât rend rigide, trop d'Isfet crée l'entropie et empêche l'évolution. Ces deux principes représentent la loi de polarité. Deux extrêmes sont les deux faces d'une même pièce, représentant des degrés différents d'un même principe, comme le chaud et le froid, le sec et l'humide, Shou* et Tefnout*. Leur équilibre permet de trouver l'harmonie et de donner naissance à un troisième principe, le principe trinitaire, un principe divin d’harmonie. Comme le masculin et le féminin, Isis et Osiris, en s’unissant donnent naissance à l'enfant, l'Horus, l'Or philosophique de l'être.
Éradiquer un des deux est impossible. La dualité permet la manifestation. Maât est atmosphère et souffle. Elle imprègne le vivant. Il faut comprendre que ce que vous prendrez pour des dieux et des déesses sont bien souvent des concepts métaphysiques que vous n'aurez, pour certains, pas encore découverts lorsque je reviendrai.
Tous ces concepts personnifiés et mis en action représentent la nature du cosmos, du microcosme et du macrocosme, de l'infiniment grand à l'infiniment petit, illustrant le fonctionnement et l'ordonnancement de ce qui existe, en mouvement à chaque instant sur les trois plans d'existence. Ces principes ne sont pas de simples figures mythologiques, mais des métaphores vivantes des forces et des lois qui régissent l'univers. En les étudiant et en les honorant, nous n'adorions pas des idoles, mais reconnaissions et célébrions la complexité et la splendeur de la création.
Dans notre quête de sagesse, nous ne cherchions pas seulement à comprendre le monde extérieur, mais aussi à explorer les profondeurs de notre propre être car ce qui est à l'extérieur de nous existe à l'intérieur. La spiritualité à Kemet était un voyage vers l'intérieur, où chaque individu était invité à découvrir sa propre divinité et à réaligner son existence avec les principes cosmiques. Cela ne provenait pas d'une simple croyance mais de nos expériences; c'était un mode de vie, un chemin d'harmonisation avec l'ordre naturel des choses.
Nous savions que notre existence physique n'était qu'une partie de notre voyage. La mort n'était pas une fin, mais un passage vers un autre état de conscience vibratoire. Nous nous préparions toute notre vie pour ce passage, non pas avec crainte, mais avec la compréhension que nous étions éternels, participant à un cycle perpétuel de naissance, de mort et de renaissance.
Ainsi, en terre de Kemet, chaque moment était vécu avec une conscience aiguë de l'interconnexion de toutes choses, du rôle sacré de chaque individu dans le grand ballet de l'univers. Nous étions à la fois les auteurs et les acteurs de notre destinée, tissée dans le grand tapis de l'existence. Notre héritage, riche de mystères et de connaissances, était une invitation pour chaque âme à s'élever, à s'illuminer et à trouver sa place dans le vaste et merveilleux ordre de l'univers.
Suite dans un prochaine lettre, iris Hor
*Djet: corps physique pour les égyptiens
**Ka: force vitale et matrice ou double énergétique du corps physique
***Passer à son Ka: expression employée pour "mourir"
****Netjerou: Divinités qui pour les égyptiens s.ont des énergies divines en action et en évolution
*****Coeur Ib: Corps subtil siège de la conscience, de l'intelligence et de la mémoire
******Maât:Principe d'harmonie, d'équilibre dans l'univers
*******Isfet:Principe opposé à Isfet, chaos, entropie
********Khaïbit: Corps d'ombre psychique, inconscient, contenant une grande puissance et énergie, corps de dédoublement représenté par une silhouette noir.
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